Conçus au Mali, nés au Maroc, les « nonuplés » ont fait parler d’eux dans le monde entier. Récit d’une grossesse et d’un accouchement à haut risque.
Dans les rues de Bamako, on parle de « bébés nationaux », et certains s’imaginent déjà que ces nouveau-nés porteront les prénoms de l’ensemble des membres du gouvernement de transition. Il faut dire qu’au-delà du Mali, l’histoire exceptionnelle d’Halima Cissé, une jeune malienne de 25 ans qui a donné naissance à des « nonuplés » (cinq filles et quatre garçons) le 4 mai, à Casablanca, au Maroc, a suscité l’intérêt du monde entier. Notamment parce que les neuf bébés sont tous en parfaite santé, une première à l’échelle planétaire.
Au départ, pourtant, l’échographie du premier trimestre de grossesse avait révélé la présence de sept fœtus, un nombre déjà extraordinaire. C’est pourquoi Halima Cissé, étudiante mariée à un sous-officier de l’armée malienne et originaire de Tombouctou, a été transférée à Bamako au CHU du Point G pour être surveillée de près. Sur place, son cas très particulier pousse le directeur de l’hôpital à prévenir le ministre de la Santé, Fanta Siby.
Affaire d’État
Parmi l’assemblée de gynécologues et de pédiatres, les points de vue divergent. Le cas « Halima Cissé » devient une affaire d’État et remonte jusqu’au Conseil des ministres, où Bah N’Daw, président de transition, exige que toutes les dispositions nécessaires soient prises pour suivre de près la jeune femme. « Il a même contribué de sa poche en faisant un don personnel », ajoute Markatié Dao. Au beau milieu de cette agitation politico-médicale, Halima Cissé, la principale concernée, se sent seule et stressée.
D’autant qu’elle est déjà maman d’une petite fille et que son époux est absent, effectuant un stage militaire en Égypte. Mais les mots du ministre de la Santé, très prévenant, l’ont rassurée, voire soulagée : « Il lui a promis que les autorités allaient assurer une prise en charge complète de la grossesse et de l’accouchement », souligne Markatié Dao. En parallèle, un gynécologue du CHU, membre du collège d’experts, entre en contact avec d’autres structures hospitalières pour demander de l’aide. La première a répondre à l’appel, n’est autre que la clinique Ain Borja, à Casablanca, qui propose d’accueillir la jeune femme.
« Nous avons des liens de fraternité avec nos confrères maliens, qui connaissent nos structures et qui sont donc en confiance
Une réactivité naturelle, selon le professeur Youssef Alaoui, qui dirige cet établissement : « À chaque fois qu’un malade a besoin d’aide, même si nous ne sommes pas sûrs du résultat, on essaye d’apporter de l’aide. Je savais que j’avais une structure qui pouvait gérer ça : une réanimation néonatale qui peut accueillir jusqu’à 20 bébés, des blocs opératoires aux normes internationales, une équipe composée des meilleurs spécialistes. Et puis nous avons des liens de fraternité avec nos confrères maliens, qui connaissent nos structures et qui sont donc en confiance. On a répondu oui, mais ce cas représentait deux grands défis : assurer la sécurité de la maman, dont la vie est primordiale, et atteindre au moins 28 à 30 semaines de grossesse pour récupérer un maximum de bébés en bonne santé. »
Le mal du pays
« À son arrivée au Maroc, j’ai vu une femme épuisée, qui ressentait déjà des contractions. Elle était enceinte depuis environ vingt-cinq semaines, soit un peu plus de cinq mois et demi, ce qui n’est pas assez pour accoucher. Notre but était de faire durer la grossesse le plus longtemps possible pour garantir un accouchement où tout le monde, la mère et les bébés, resterait en bonne santé », raconte Yazid Mourad, le gynécologue qui a pris en charge Halima Cissé, un cas qui a mobilisé au moins dix médecins et vingt-cinq paramédicaux.
La grossesse est particulièrement éprouvante pour Halima, une femme assez grande mais « plutôt fine », souligne le docteur. Sur place, elle a le mal du pays. « Heureusement, Halima est accompagnée de sa sœur, et elle a également un beau-frère au Maroc. Cela dit, elle a été très entourée par l’équipe de la clinique, particulièrement les sages-femmes », précise le docteur Mourad. Alors que l’établissement sert des repas plutôt « européens », les sages-femmes ramènent en catimini à Halima des plats marocains, qu’elle préfère de loin.
« Le cas de Halima Cissé a mobilisé pas moins de dix médecins et vingt-cinq paramédicaux
Sept, huit et… neuf
« Heureusement, cela a eu lieu en pleine journée. Même lorsque l’on est prêt, devoir gérer un accouchement aussi risqué en pleine nuit, c’est dangereux, pour tout le monde », précise le gynécologue. Malgré l’extrême préparation de l’équipe médicale, une surprise de taille l’attend : « Nous avons sorti sept bébés, puis j’en ai vu un huitième. Pour plaisanter, j’ai dit tout fort que j’allais peut-être en trouver un neuvième, et c’était le cas », s’étonne encore le docteur Mourad.
Au total, l’accouchement a duré trente minutes, et l’extraction des neuf bébés a eu lieu en 2 minutes et 20 secondes précisément, un temps record. Neuf bébés d’environ sept mois, en excellente santé, qui pèsent tous entre 500 grammes et un kilo. Placés dans des couveuses, ils devront rester à la clinique encore deux mois et demi pour arriver au terme de leur développement, avant de s’envoler pour le Mali. La maman, quant à elle, est encore très éprouvée, et ne souhaite pas s’exprimer publiquement. Après une nuit en réanimation, elle a pris ses quartiers dans une suite confortable de la clinique.
« Pour plaisanter, j’ai dit tout fort que j’allais peut-être en trouver un neuvième, et c’était le cas
« Psychologiquement, c’est encore un peu compliqué. Halima a passé beaucoup de temps loin de chez elle, enfermée dans une chambre et maintenant elle a neuf bébés. Tout cela est difficile à appréhender, mais avec le temps ça ira mieux », affirme le docteur Mourad.
Autre bonne nouvelle, son mari aurait réussi à obtenir une permission et un billet d’avion pour se rendre le plus vite possible auprès de sa famille. Côté malien, où cette histoire a déclenché un grand élan de solidarité, l’État a ouvert un compte en banque pour Halima Cissé, où seront placés les dons divers et l’aide publique. Les neuf bébés bénéficieront sans aucun doute d’un accompagnement particulier pendant encore de longues années.
Jeune Afrique
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